La Manche sous tension.

Environ 80 % de l’énergie consommée en France est d’origine nucléaire. Selon l’Etat français, les centrales sont aujourd’hui indispensables pour répondre à la demande croissante en électricité, amortir l’impact des prix élevés du pétrole et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le lobby nucléaire français, qui a repris des gallons après des années de purgatoire, parle de l’EPR comme « d’un formidable instrument pour former des centaines d’ingénieurs, et Flamanville comme de la vitrine commerciale de la filière nucléaire française ». La guerre que se livrent le géant français Areva avec ses principaux concurrents, General Electric et Westinghouse est déclarée mais Areva souffre d’un coût de production déjà bien supérieur aux deux autres.
Dans ce contexte politique plutôt favorable, le département de la Manche a fait le choix du tout-nucléaire. Cette région conservatrice et silencieuse doit en outre beaucoup de son développement au nucléaire. Dans le nord Cotentin, Flamanville a depuis le 10 décembre dernier vu la première pierre de son futur réacteur nucléaire dit « de troisième génération » être posée sans que ce choix (il en est de même pour les 55 autres réacteurs français) n’ai donné lieu à un débat public. Ce réacteur, validé par une quasi-majorité politique locale, mis au point par Areva et construit par EDF est loin de faire l’unanimité, au sein même d’EDF tout comme dans la communauté scientifique. Le site de Flamanville, qui compte déjà deux centrales nucléaires d’ancienne génération, ne pourra fonctionner qu’aux deux tiers de sa puissance sans la construction d’une nouvelle ligne à Très Haute Tension (THT) d’environ 150 kilomètres de long en direction du sud. Transportant l’électricité produite à la Bretagne, elle traverserai donc la Manche, la Mayenne et l’Ile et Vilaine pour rejoindre Domloup à coté de Rennes. Ce Chantier pharaonique nécessiterait, selon RTE, le gestionnaire du réseau et transport de l’électricité, 300 pylônes de 45 à 65 mètres de haut positionnés tous les 500 mètres.
A partir de juin dernier, le fuseau de construction de la THT, initialement de 30 kilomètres de large a commencé à se rétrécir, pour aujourd’hui ne s’étirer que sur quelques mètres. Beaucoup de communes ne se sentent donc plus concernées. Mais certaines d'entre-elles comme La Bazoge, Le Chefresne ou Chevreville se sont, par le biais de leur conseil municipal ou d’une pétition des habitants, opposées à « la balafre ». Chevreville et ses 184 habitants ont boycotté les dernières élections municipales, en protestation contre la ligne censée passer près de l'école maternelle. Depuis, le nouveau maire continue le combat.
Pendant ce temps, RTE affine son tracé et continue de proposer des réunions publiques d’information souvent houleuses, parfois fermées aux journalistes. Enfin, depuis deux ans et avec un soutien croissant de la population, une quinzaine d'associations se mobilisent et sont aujourd’hui invitées par les maires lors des présentations RTE, des diverses réunions publiques et autres conseils municipaux organisés dans les salles communales. Selon Christophe Gosselin, le président de « Manche sous tension » qui ne se revendique pas anti-nucléaire, «  l’EPR de Flamanville est un réacteur de démonstration et la population des cobayes ». En mettant en avant les risques liés à la santé liés à la proximité des lignes, et sans parler des nuisances paysagères, la population craint également de voir chuter les prix de l’immobilier de la région ainsi que la croissance liée à la construction de lotissements.
La population a raison de s'inquiéter. Le débat sur le nucléaire a été absent du Grenelle de l’environnement, le moratoire sur l’EPR proposé par les associations présentes lors de la dernière manifestation d’Ernée (53) de novembre 2007 n’a pas été retenu. Seul un objectif d’arriver à 20 % d’énergie renouvelable d’ici à 2012 a été fixé.La quinzaine d'associations locales n'en est pas restée là, car à leur initiative, une enquête entreprise depuis janvier 2008 par le CRIIREM ( Centre de recherches et d'informations indépendantessur les rayonnements électromagnétiques) le long des deux lignes THT déjà en activité dans la région, et à proximité desquelles 4500 habitations et fermes sont recensées, vient de voir ses premières conclusions tomber. Le résultat des 8000 questionnaires seront publiés en septembre prochain. Les 350 premiers dossiers dépouillés font état de « nombreux problèmes de santé, notamment des troubles du sommeil, de la mémoire, de l'audition, d'irritabilité et de dépression ». Le CRIIREM évoque également un taux élevé de cancers du cerveau et de leucémies chez les riverains par rapport à la moyenne. Quant aux animaux, ils sont souvent atteints de troubles telles les dyssentries des porcs ou les mammites qui freinent voire endommage la production laitière.
Cette étude n'est pas la seule à pointer du doigt les risques sanitaires des lignes THT. Déjà en 1996, le professeur Marcel Goldberg, directeur de la division épidémiologique de la médecine du travail chez EDF avait relevé une corrélation entre l'exposition aux champs électromagnétiques et l'apparition de tumeurs au cerveau. Il a depuis été contraint à la démission...Plus récemment, Gerald Draper de l'université d'Oxford au Royaume-Uni concluait son étude sur un risque de leucémie infantile 69% plus élevé pour ceux qui vivaient, à leur naissance à moins de 200m d'une ligne THT.
En réponse à ces enquêtes, EDF cite les autorités médicales et s'appuie sur la position des instances sanitaires internationnales, affirmant que « l'ensemble des éléments dont nous disposons actuellement ne démontre pas que l'exposition à ces champs présente un danger pour la santé de l'homme » (lettre d'EDF/RTE à un habitant de la Manche). A peine admet-elle que le point en suspend est celui des leucémies de l'enfant. RTE continue ainsi à agir sur le terrain comme si de rien n'était, notamment en passant dans les mairies.
Selon le président du collectif régional « EPR non merci », la lutte continue: « les enquêtes publiques ne sont pas encore menées, les permis pas accordés, les recours devant le conseil d'Etat non jugés » énumère Didier Anger, président du Crilan. En attente du résultat de l'enquête entreprise par le Criirem qui doit être présentée en septembre, la coordination interrégionnale demande un moratoire: que le projet soit gelé au non du principe de précaution.
Aujourd'hui, les maires suivent: le 17 mai dernier ils étaient dix-sept à se rassembler devant la préfecture de la Manche. Opposés à l'implantation de la THT sur le territoire de leur commune, ils ont adopté une position commune: prendre un arrêté visant à interdire tous travaux liés à l'implantation de la ligne THT pour protéger les populations et leur outil de travail. Plus récemment, l'enfouissement de la ligne, qui semblait jusqu'ici exclu ppou des raisons techniquesv et financières, est à nouveau d'actualité. « Pas question de rejeter la ligne chez nos voisins » précise Gilbert, le nou.veau maire de Chevreville. Nous sommes d'accord pour qu'elle passe chez nous, mais pas dans n'importe quelle conditions ». La poignée d' $élus manchois recclame donc juste une égalité de traitement avec les pyrennéens qui ont obtenu gain de cause récemment pour l'enfouissement de la ligne epargnant en partie leurs paysages. « Nous sommes réalistes, nous ne demandons pas l'enfouissement total, mais seulement dans les endroits ou la ligne est la plus gênante , affirme le député Guénael Huet (UMP, Manche). Mais on ne peut pas discuter avec RTE, ils viennent deux fois en hélicoptère et croient connaitre le pays mieux que nous ».
A ce jour, seule une circulaire émise par Nathalie Kosciuscko-Morizet, secrétaire d'Etat à l'écologie a été proposée à Jeau-Louis Borloo invitant les préfets à mettre en oeuvre plus systématiquement la délivrance des permis de construire à au moins 200m des lignes THT. Le ministre de l'écologie s'est toutefois récemment engagé auprès des élus à ce qu'il n'y ait aucune discrimination entre l'ouest et le Pyrennées.

Emmanuel Blivet 2007-2008.