Un Etat de Chypre

Le 15 juillet 1974, la junte militaire alors au pouvoir en Grèce organise un coup d'état à Chypre pour renverser le Président Makarios, dans le but d'unir Chypre à la Grèce. La Turquie, l'une des trois nations garantes de l'autonomie de Chypre, avec la Grèce et la Grande Bretagne, et en vertu de la Constitution de 1960, intervînt "pour protéger la communauté chypriote turque". Dans des circonstances mystérieuses, environ 2000 grecs disparurent et une majorité de turcs de deux villages du sud fut capturée puis tuée. Depuis, riche de 30000 hommes, l'armée turque occupe la partie Nord de l'Ile.
Ces dernières années ont vu successivement l’ouverture de la ligne verte avec aujourd’hui cinq points de passage, le refus des grecs du 6ème plan Annan de réunification et enfin, pour la Turquie, le début de son processus d’intégration à l’Union Européenne. Début 2007, le ministre turc des affaires étrangères mr Gul proposait à nouveau d’ouvrir les ports et aéroports turcs à la partie grecque de l’île, en contrepartie de la levée des sanctions contre Chypre nord. Il se tournais alors vers l’UE qui, ayant suspendu les négociatios d’adhésion de la Turquie à l’UE fin 2006, approuvait bien sûr ce geste. Malgré l’opposition controversée des grecs à cette levée de sanctions, le gouvernement a autorisé l’ouverture le 9 mars d’une brêche par des bulldozers, en réponse aux autorités chypriotes turques qui, en janvier, ont fait démanteler une passerelle métallique utilisée dans la zone frontalière par l’armée turque, malgré l‘opposition de cette dernière. Ce geste symbolique révèle une réelle ouverture, mais avec comme préalable le retrait des soldats turcs, ou le déminage de la zone…qui prendra encore une année de plus.

Dans ce contexte d’ “éloignement d’une solution raisonnable ” (2), j’ai cherché à savoir ou en était cette île d’Aphrodite, avec ses vieux démons et aujourd’hui si dépendante du tourisme, où partout l'immobilier explose ?

Au Sud, l'orthodoxie influe toujours dans les décisions politiques. Avec un PIB par habitant des plus élevés d'Europe et une main d'oeuvre de l'est et asiatique souvent exploitée, la République de Chypre est aujourd'hui un centre d'affaire et de transport maritime international.
Chez les réfugiés de 1974, les rancoeurs persistent (des centaines de dossiers de plaintes concernant leurs propriétés du Nord sont en attente à Strasbourg) et la population ne comprend toujours pas l'omniprésence de l'armée turque au Nord.
Au milieu, les Nations Unies restent impliquées dans un effort en vue de trouver une solution. A Pyla, village mixte "Potemkine" situé au sud de la base anglaise, et lieu de passages éclairs de touristes curieux, elles veillent.
La partie Nord, reconnue par la seule Turquie et présidée par le pro-européen Mehmet Ali Talat, demeure une zone d'intérêt militaire majeure pour les USA et la Grande Bretagne. Une main mise des firmes turques s'exerce encore sur ce territoire malgré la récente proposition du chef de la diplomatie, Mr Gul, d'ouvrir les ports et aéroports turcs à Chypre .Cela en contrepartie de la levée des sanctions contre la République Turque de Chypre du Nord.
Depuis 1974, beaucoup de Chypriotes turcs ont quitté l'Ile, remplacés par des turcs d'Anatolie à qui l'Etat a promis un meilleur avenir en leur offrant d'anciennes propriétés grecques. En cas de réunification, ils seraient dans l'obligation de rendre ces terres et de quitter l'île. Beaucoup de plaintes grecques sont aujourd'hui en attente à Strasbourg pour appropriation illégale. Ce problème, également applicable au sud, prend ici une autre dimension puisque les promoteurs immobiliers locaux proposent aux touristes étrangers avides de retraite paisible des villas clés en main à des prix défiants toute concurrence.

Pourtant, de part et d'autre, quelques familles ont choisi, parfois non sans mal, de rester là où elles habitaient avant 1974. A Dipkarpaz notamment, au nord, 230 grecs vivent aujourd'hui "paisiblement" même s'ils sont encore surveillés. Au sud, au flot quotidien de travailleurs turcs s'ajoute la présence de nombreuses communautés, notamment à Limassol.

Malgré tout, beaucoup pensent que le problème chypriote n'existe pas, ou qu'il est plutôt politique. De nombreuses associations bi-communautaires se sont crées depuis 5 ans( étudiants, artistes, intellectuels, journalistes...). Pour certains, cela reste un phénomène de mode, pour d'autres, ces associations sont nécessaires afin d'envisager une réunification, même si l'ambiance générale est aujourd'hui assez pessimiste.

1)Ligne verte: frontière entre Nord et Sud.
2)Dionisis Dionisiou, éditorialiste à Politis.

Emmanuel Blivet 2006.